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29/04/16
Alors que les manifestants contre le projet de loi travail continuent de descendre dans la rue, l’Université de Strasbourg proposait, mercredi 20 avril, une rencontre citoyenne et universitaire autour de ce projet controversé. Revue de détail des arguments, à quelques jours du début de l’examen à l’Assemblée nationale*.
"Quel droit du travail pour l’entreprise de demain ? Analyser et commenter le projet El Khomri pour imaginer une nouvelle régulation des relations de travail". Ce n’est pas l’intitulé d’un partiel, mais bien celui de la rencontre proposée mercredi 20 avril à l’Unistra, à l’initiative de deux juristes et un économiste. Une démarche peu courante à l’université.
En ouverture du débat, Chantal Cutajar, maître de conférences en droit privé, rappelle l’objectif de convergence entre « utilité et justice » que doit poursuivre le droit dans sa construction. « La relation entre employeurs et employés étant par nature déséquilibrée, le droit vise à protéger les intérêts et les droits de ces derniers », rebondit Quentin Urban. Ce que remettent en cause les dispositions du projet de loi El Khomri, selon le privatiste. Lorsqu’il les liste, il ne cache pas son inquiétude. « Consternant », l’allègement des contraintes sur l’organisation et le nombre d’heures de travail. « Dangereuse », la facilitation du licenciement pour motif économique. Surtout, « dramatique » la modification de la hiérarchie des normes, par laquelle les accords de branches ou les accords professionnels ne primeraient plus sur les accords d’entreprises. « Une menace grave pour les droits des salariés, en particulier ceux des petites entreprises ne bénéficiant pas de représentation syndicale. » Une position partagée par l’économiste Francis Kern : « Un véritable retour au rapport de force le plus brutal, balayant des avancées sociales en termes de négociation collective remontant au New Deal, dans les années 1930 aux Etats-Unis ! »
Francis Kern et Quentin Urban s’accordent aussi à dire que le gouvernement a fait depuis plusieurs décennies de l’assouplissement du droit du travail un argument pour lutter contre le chômage massif. « Gouvernement qui se retrouve pris à son propre piège, arguant d’une complexité du droit du travail dont il est le principal artisan », souligne le juriste. Francis Kern va plus loin. Il conteste l’idée, « prédominante aujourd’hui en Europe sous l’influence de l’ordo-libéralisme allemand », selon laquelle dépenses et recettes publiques doivent obligatoirement être à l’équilibre. « Non, l’Etat n’est pas un agent économique comparable à un ménage. Il dispose de capital humain, d’infrastructures, de biens… » Le projet de loi travail ne serait selon lui qu’une étape supplémentaire dans la construction d’un mythe : conjuguer rigueur et flexibilité aboutirait à des créations d’emplois. « Dans cette vision, celle d’une économie concurrentielle, le salaire n’est vu que comme un coût. Mais si l’on prend une perspective keynésienne, celui-ci devient un instrument de relance. » Pour autant, l’économiste ne rejette pas en bloc le texte porté par la ministre du Travail. Il en retient certaines pistes, « notamment celle de la refonte du contrat de travail, pour dépasser le carcan que représente aujourd’hui le CDI ». Avec la participation du public, d’autres perspectives se dessinent : création d’un revenu universel inconditionnel ou revenu d’existence, annualisation du temps de travail à condition d’offrir des contreparties au salarié, introduction de davantage de flexi-sécurité, contrat de travail de 32 h, élargissement du champ du droit du travail aux indépendants et aux micro-entrepreneurs… Le débat se conclue sur une perspective réjouissante pour les anti-loi travail : « Le Conseil constitutionnel pourrait juger certaines de ses dispositions contraires aux conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT), et le retoquer partiellement. »
Elsa Collobert
Radicaliser la démocratie, Dominique Rousseau, Seuil (2015)
Nos mythologies économiques, Éloi Laurent, Les liens qui libèrent (2016)
* L’examen du projet de loi El Khomri débute le 3 mai 2016